Parlez-moi de l'orage...

Bien, bien. Aujourd'hui, le temps semble s'aventurer vers les rives amères d'un fleuve maussade. Dehors, il pleut. Oh, pas à grosses gouttes, non, c'est une petite pluie qu'on dirait Irlandaise, un crachin, comme un crachat raté. Ce petit temps maussade, il colle bien avec l'air du temps, je trouve. Il est médiocre, il moyenne, il biaise, il fait des concessions avec le soleil et l'orage. Il ne dit pas son nom, il vrille, il esquive.

Le crachin, finalement, c'est comme le petit vent ni froid ni chaud d'automne. Il ne dérange personne, tout au plus il fait s'envoler les chapeaux. On le remarque à peine ou si peu, si peu.
Ah, qu'on l'aime bien ce petit crachin, il nous donne du blé à moudre, on peut s'en plaindre, on peut même le maudire, mais on ne risque rien, il ne nous fera jamais de mal, avec ses gouttelettes ridiculement petites et son coeur sans éclair. Il ne sais même pas tonner, rendez-vous compte ! Finalement, il arrange tout le monde, on peut en dire ce qu'on en veut, il ne vous renverra jamais la monnaie de votre pièce. Ce petit crachin, il va si bien avec l'air du temps.
Il est mou. Presque mort. Et du coup, il a les mêmes idées que vous, tout le temps. Il vous caresse dans le sens du poil, il est d'accord avec vous, Il trouve que vos habits vous vont bien même s'ils ne vous vont pas du tout (il les mouille si peu, est-il aimable...) Ce crachin-là, tout moyen, tout mollasson, est le meilleur des amis. Jamais dans la contradiction, jamais dans l'échange, et toujours présent, mais si discrètement, si discrètement.

Il n'est pas comme le soleil, ce furibard, qui vous brûle la peau, vous tient chaud, vous fait transpirer, vous ramollit, vous assomme, vous cancérise !

Il n'est pas non plus comme l'orage. Je veux parler du bon vieil orage du temps jadis, qui faisait vibrer les chaumières et flamber les chênes, le vrai de vrai, l'orage du terroir, 100% naturel et sans OGM ! Il faut bien le dire, celui-là, plus personne n'en veut ! Celui-là, il fait du bruit, il vous jette des seaux à la figure et vous trempe jusqu'aux os, il contrarie vos journées, vous fait rater vos rendez-vous, il modifie vos plans, écrase votre brushing, retourne votre parapluie, il vous énerve, il est vivant...

L'orage, il ne pense pas comme vous. L'orage, il a un avis sur tout, il est tenace, il lance ses arguments comme des éclairs, il s'emporte, il vous emporte, il malmène votre sang froid. L'orage n'est jamais d'accord avec vous.

Du coup, refusant d'apprécier (d'aimer, oh, aimer...) les orages, on ne connaît plus le joli soleil qui vient ensuite, la clarté immaculée, le doigt lumineux de dieu qui arque le ciel, suivant son passage. On ne connaît plus les terres humides et chaudes régénérées par l'eau douce des nuages cotonneux, les herbes folles qui ruissellent de grosses gouttes grassouillettes, les escargots qui déroulent leur yeux timides et englués; on ne connaît plus les doux ruissellements, les lents dégoulinements, les miroitantes flaques, la boue noire et brune; on ne connaît plus le calme et le repos sereins qui viennent après la tempête. Puisqu'on ne veut plus de l'orage.
Ce qu'on veut finalement, c'est la médiocrité et la diplomatie du crachin, pas le tempérament et l'audace des bons vieux orages.

... Ce soir, au moins ce soir, j'ai le sentiment d'être un orage dans ce monde de crachin.

Rico.

P.S. Lien vers le site du photographe : par ici