Lame de fond

Il y a quelques années de cela maintenant, j''ai eu l'occasion de séjourner un temps à Saint Malo.
Non, je n'étais pas en cure, c'était pour le boulot...
Et je garde de ce séjour des souvenirs particuliers...
Notamment un....Celui d'un passage à la Pointe du Grouin.
Un coin particulièrement désert et sauvage , déchiqueté.
J'aime bien les endroits comme ça. Ils me rappellent quelquechose qui est au plus profond de moi.
C'était un jour de pluie et de vent, avec une mer démontée.
Lorsque je suis arrivée, il n'y avait pas un chat. Que moi.
Enfin, non, en fait il y a avait quelqu'un d'autre.
Un homme. Grand et revêtu de vêtements sombres , aussi sombres que les nuages qui l'entouraient.

Il se tenait à l'extrémité de la pointe, entre ciel et terre, comme s'il allait sauter.
Juste là où je comptais m'installer. M'asseoir et regarder mon âme dériver.
Alors j'ai avancé vers lui, histoire de le déranger.

En me rapprochant, j'ai remarqué qu'il avait des cornes et des sabots.
Et j'ai aussi vu une longue queue qui dépassait de l'arrière de son long manteau.
Je me suis arrêtée tout près de lui , au bord de la falaise. Et nous sommes restés là , dans un silence religieux.Comme deux oiseaux qui attendent le bon courant pour déployer leurs ailes et s'envoler.

Comme nous contemplions , côte à côte, les vagues se déchirer sur les rochers, je me suis enhardie, intriguée par son allure. Je lui ai dit : "C'est beau ! "
Il s'est tourné vers moi et m'a regardé d'un oeil particulièrement rouge , l'air méfiant.
Il est resté un long moment comme ça, à m'observer silencieusement.
Et puis il m'a répondu d'une voix grave : "Oui, c'est beau, mais ça caille ici et je me les gèle, je file me réchauffer dans un bistrot ".
Il a tourné les talons et il s'est éloigné, son manteau flottant derrière lui , battu par les vents déchainés.
Je l'ai vu monter dans une BMW noire rutilante immatriculée 666XX66.
Puis il a démarré et il est parti dans un train d'enfer....
Et je suis restée seule. Seule avec mon âme tourmentée, la mer et le vent pour seuls témoins.

Mais un doute m'assaille, à présent ...
Ce jour là, j'ai bien remarqué les sabots et la longue queue du bonhomme mais je n'ai pas fait attention à ce qui se passait devant.
Peut être était il en train de faire pipi, là, tout simplement, au bord des falaises.
Histoire de se griser, de se mettre à l'aise....
Ce qui expliquerait son air intrigué lorsque je l'ai interpellé.
A quoi donc peut bien penser une femme qui s'adresse à un homme , diabolique ou non, lorsqu'il apporte sa contribution personnelle à la lutte contre l'évaporation des Océans ?
Je n'y avais pas pensé... Etourdie que je suis.....

SHADOW